De l’acétate au titane, des montures au savoir faire typiquement français. Un artisanat très cocorico.
Le Jura, ce n’est pas seulement ses vertes prairies clairsemées de pâquerettes que les vaches broutent d’un air impassible en regardant passer les voitures. Ce n’est pas non plus que des hivers enneigés donnant aux montagnes et autres vallées un air majestueux lorsqu’elles s’habillent d’un manteau blanc et ouaté. Le Jura c’est le point de départ de tout, le berceau de la lunette…
Si vous visitez Morez, le musée de la lunetterie est un passage obligatoire. Là, Juliette Gerfault, responsable scientifique et culturelle de l’établissement nous fait voyager à travers l’histoire d’un savoir-faire typiquement Français: la fabrication des lunettes.
Saviez-vous que le premier à produire une monture fine en métal fut Pierre Hyacinthe Caseaux ? Maître cloutier au 19 ème siècle, il eut cette idée simplement géniale de fabriquer les premières bésicles.
A cette époque, peu de matériel était nécessaire. Quelques limes, une machine à rouler les cercles, une machine à archet permettant de créer des vis de petites tailles et le tour était joué ! C’est ainsi que dans son atelier urbain, alimenté par une roue à aube, Mr Caseaux produisit un objet qui allait révolutionner notre quotidien. Si vous tendez bien l’oreille, vous entendrez d’ailleurs cette anecdote amusante: « Et ainsi d’un clou, naquit une lunette… »
Ce musée recèle de véritables trésors sur l’artisanat et le savoir-faire que demande la fabrication de lunettes à la main. On se replonge volontiers dans cette histoire grâce à la collection Pierre Marly & Essilor. A découvrir de toute urgence…
Mais puisque les montures ne sont pas uniquement faites de métal, il vous faudra au cours de votre périple faire un stop à Oyonnax. Ici l’acétate est reine. Mais qu’est-ce que l’acétate ? Il est temps de se remémorer les bases…
L’acétate est fait à partir de « Flake », poudre de cellulose d’origine végétale (bois ou coton) mélangée à de l’acide acétique (vinaigre d’alcool blanc) afin d’obtenir de l’acétate de cellulose.
Cette matière première prend toute sa vivacité grâce à des colorants ou de la décoration. D’abord livrée en feuilles, elle est ensuite agrémentée de divers éléments tels que plumes, paillettes et autres embellissements. Ces ornements placés entre deux couches, on obtient un « sandwich ». Ce dernier est ensuite pressé à chaud afin de souder les différentes parties entre elles et obtenir une plaque d’acétate originale.
Seules trois entreprise en France perpétuent se savoir-faire dans la plus pure tradition: Décoracet, Acétabel et Modo. Créativité et possibilités infinies sont, chez ces artisans, le mot d’ordre. Car à l’impossible nul n’est tenu.
C’est ainsi qu'au coeur de la « plastic valley », vous ne découvrirez pas moins de 600 entreprises tournées vers la fabrication et la transformation de la matière plastique. Ici on fabrique peignes et autres bizarreries telles que la collection de 36 robes en cellulose de Paco Rabanne.
Mais revenons à nos binocles. La collection du musée de la plasturgie d’Oyonnax accueille environ 4000 paires de lunettes retraçant l’histoire de la monture en acétate.
Si les Américains ont la Silicon Valley, ne soyons pas peu fiers de notre vallée de la lunette. Faite d’un maillage fort, on y retrouve nombre de fabricants qui ont élu domicile ici depuis des décennies. A ce jour, pas moins de 15 entreprises officient depuis plus de 70 ans afin que nous puissions porter les plus belles montures optiques et solaires.
Denis Belone, dirigeant de la société Morel nous présente la sienne qui s’est installée à Morbier en 1880. Elaborant des collections en nom propre uniquement, il nous parle de sa liberté d’innover, de créer et de tester de nouvelles technologies. Dans ses ateliers, on « prototype », on ose et on produit dans le respect d’un savoir-faire quasi ancestral.
Henry Grasset, président des lunetiers d’Oyonnax et descendant de la non moins célèbre maison éponyme, nous livre, quant à lui son analyse du tissu industriel local. On y apprend que si certaines entreprises sont généralistes dans leur processus de production, d’autres bien au contraire se sont spécialisées au fil du temps. Création de plaques d’acétate, découpe de branches, shootage manuel, ce sont autant de milliers de petites mains qui travaillent à la réalisation d’un grand tout. Le savoir-faire local s’est ainsi étendu sur tout le territoire et à même au fil des années dépassé nos frontières.
Lucas de Staël, le plus jurassien de tous les Parisiens, nous déclame son attachement aux traditions et savoir faire français. Au sein de ses ateliers, situés au coeur de la capitale, on reçoit les structures métalliques de ses montures en provenance du Jura. Libre à lui de les habiller de matériaux des plus originaux. Il maitrise le cuir, le bois mais aussi dernièrement la marqueterie à base de coquille d’oeuf. Comme quoi le made in France a encore de beaux jours devant lui dans l’hexagone mais aussi dans le monde entier…